Cette petite phrase n’émane pas d’un monsieur ou madame météo, pas plus que d’un politicien bernoyant à la veille de se prendre une déroute cuisante accompagnée d’une cuite assourdissante lors d’élections dont il aurait préféré se passer. Non ! Elle aurait été prononcée par un certain Roger François Damiens lorsqu’il apprit comment il serait exécuté pour avoir tenté d’assassiner le roi Louis XV. Et je cite la sentence qui devrait enjouir plus d’un individu de notre si merveilleuse et paisible espèce humaine :
il sera conduit à la Place de Grève et placé « sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée au feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et soufre fondus et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées au vent ».
Réjouissant, n’est-il pas. Dommage qu’il n’aie réussi qu’à blesser le roi, on ne saura pas de quels raffinements supplémentaires ses congénères eussent enrichi ses tortures s’il l’avait occis pour de bon.
Evidemment, la petite phrase dudit Damiens n’est probablement pas de lui tant, après avoir déjà été raisonnablement torturé, il devait compisser son froc à la lecture de cette sentence. Mais le bipède aimant bien enjoliver jusqu’aux choses les plus immondes, laissons-lui ce petit plaisir.
L’histoire se passait en 1757 et Damiens fut le dernier condamné à mort de notre bon royaume à mourir ainsi supplicié et écartelé en place publique. Depuis, de telles atrocités se commettent en privé, et quelques années plus tard, le docteur Guillotin inventa par compassion l’outillage qui dérive de son nom pour exécuter ses compatriotes en public.
Ceci-dit, si nous avons rangé au fond d’un placard – voisin de celui où git Madame Guillotine – de tels raffinements en matière de sévices publiques, il n’est pas besoin d’aller bien loin pour voir qu’ils se pratiquent encore un peu partout de par le monde. Mais le bipède est ainsi fait que…
On l’aura compris, je suis enjoué aujourd’hui. Tiens, on vient de découvrir une nouvelle espèce de grenouille en Colombie, une grenouille avec des sourcils jaunes ; ce qui prouve que là où l’humanité ne l’a pas encore souillée, la nature compte encore quelque avenir caché. Ces grenouilles en effet, outre le jaune de leurs sourcils, auraient des pattes munies d’une sorte de velcro – un genre de machin qui sert à accrocher des skis à vos godasses – leur permettant non seulement de ne pas glisser dans la neige et les glaces éternelles, mais encore qui aide le mâle à bien retenir la femelle sautillante lors de l’accouplement.
Mais j’en entends déjà certains qui grognonent qu’ils n’en ont rien à faire de ces saletés de grenouilles ! Qu’elles restent au fond de leurs igloos, et ne viennent surtout pas bouffer le pain de nos grenouilles pure race…
« On s’en fout des grogneux ! Y savent même pas qu’il n’y a pas d’igloos en Colombie ! » Qu’elle me dit la cigale, se réveillant vaguement de son hibernation prolongée. « Et les sourcils jaunes ! A quoi qu’ils servent ? »
Ben, peut-être à faire frétiller la grenouille pour mieux l’accrocher au velcro.
« T’es vachement romantique ! » Qu’elle ajoute la bestiole.
Et comment que tu veux que je sois romantique quand je lis que chaque jour que le dieu des uns ou des autres fait – ou font s’ils s’y mettent ensemble – sa suprême et supérieure créature se plait à commettre des supplices à peu près aussi amusants que celui du Damiens et à les raffiner comme des bonbons au sucre d’orge.
« Mouais ! Je m’en vais réveiller la fourmi pendant que tu convalescences avec tes araignées noires. » T’étais plus drôle quand tu causais aux oliphants roses. »
Certes, mais l’on passe ses circonvalescences comme on peut. Tiens, demain, j’essais de me mettre un velcro sur la bouche histoire de m’y accrocher le sourire.
Je convalescence, tu convalescences, il ou elle… Après tout, c’est aussi bien que de compter les moutons pour ne pas s’endormir…
Nonobstant la cruauté du supplice (qui n’eût pas été pire si Louis XV avait effectivement été assassiné, le rituel barbare de l’exécution étant exactement le même que celui qui avait été utilisé pour Ravaillac, un siècle et demi plus tôt), ce qui est consternant pour le malheureux Damiens, c’est la façon dont la politique a joué totalement en sa défaveur. Les jours qui ont suivi l’attentat, Louis XV semblait plutôt disposé à la clémence et avait pardonné ce que Damiens avait présenté comme un avertissement donné au roi pour son inconduite. Mais le peuple murmurait qu’on voulait étouffer l’affaire et dénonçait la faiblesse du pouvoir. Parallèlement les parlementaires chargés d’instruire le procès voulaient profiter de l’occasion pour se raccommoder avec le pouvoir royal qu’ils avaient frondé et qui menaçait de s’en prendre à leurs privilèges. En choisissant de faire écarteler Damiens plutôt que de le faire brûler vif (ils eurent à se prononcer entre ces deux supplices), ils entendaient prouver leur attachement à la personne du roi et leur respect pour sa fonction, attendant sans soute en retour qu’on ne touche pas trop à leurs privilèges. Ainsi Damiens périt le plus atrocement possible pour attirer sur les parlementaires la bienveillance d’un roi qui était pourtant prêt à pardonner à son malheureux agresseur….