On a beau le savoir par coeur et à coeur ouvert, mais il est toujours étonnant de se réapercevoir que le temps passe au gré de ses humeurs qui sont généralement les vôtres – à ne pas confondre avec des humeurs votives ou volubiles – d’où le réa qui est parfois une réaction à l’aperçu. Tiens, par exemple je viens de m’apercevoir que vient de passer le deuxième anniversaire de ma mort – si l’on peut compter les anniversaires par mois – alors que j’ai tantôt l’impression d’avoir ressuscité hier, mais parfois que j’étais mort il y a une éternité, une toute petite éternité, mais qui paraît éternité néanmoins. Si je compte encore assez bien sur mes doigts, je viens aussi d’entrapercevoir que j’ai réouvert les yeux, ou ressurectionné pour de bon le jour anniversaire de la naissance du titi jésus – ce qui pourrait m’ouvrir des perspectives si je croyais aux opérations du saint esprit, et non tout bêtement que deux et deux font parfois quatre lorsqu’ils ne font pas cinq. D’ailleurs, mais sans le moindre rapport, je préfère le mot « ressuresction » au traditionnel « ressuscité » ; même si le second fait fureur dans les églises, le premier a le mérite de vous faire passer pour un intellectuel dans les salons mondains où l’on vous prend pour un cancre si vous dites que vous ressuscitâtes le jour de noël et pour un sacré corniaud si vous affirmez comme l’écrit votre médecin que vous avez été « compliqué par un arrêt cardiaque ressuscitable », ce qui est en effet crétin, un arrêt étant un arrêt, surtout lorsqu’il est cardiaque et que seules certaines élites de droite – et généralement ecclésiastiques ont le privilège de pouvoir ressusciter sous forme de saints, de sauveurs, voire parfois de saints sauveurs. J’aime bien aussi le mot « aperçu » qui permet d’à peu près tout dire sans jamais l’avoir vu, vous faisant passer pour un membre bien pensant d’une élite de gauche.
Mais cessons ces digressions sur le non sens du temps qui passe et où qu’il va je vais ou ne vais pas, tout dépend du point de vue duquel on le voit passer. J’en entends en effet qui murmurent qu’ils nous emmerdre avec ses histoires de petit mort de rien du tout puisque ressuscitable justement. Pendant le mois qu’il a mis à plus ou moins ressusciter, on fêtait au champagne rosé et de chansonnette à l’eau de javel le premier anniversaire – qui lui se compte en années – du sauvage assassinat des Charlie hebdo, des bombes meurtrières pétaient sans chanson un peu partout de par le monde, faisant, elles, des morts éternels pour de bon, ce qui permettait de ne pas penser qu’un génocide tachait le Burundi de flaques de sang, et j’en passe. Alors sa petite mort de pas grand’chose, c’est pas pour médire, mais on s’en tape !
Certes, mais si comme tout un chacun je me place de mon point de vue pour regarder le temps passer, je suis bien loin de m’en taper.
Evidemment, c’est somme toute assez confortable de mourir pendant son sommeil. On ne sent rien, ce qui évite la déception de s’apercevoir que lorsqu’on est mort, il n’ a rien – si toutefois l’on ressuscite, bien sûr, à moins d’avoir été toute sa vie un indécrottable croyant, et que vous comprenez enfin que votre dieu et peau de balle, c’est kif-kif. Là, vous risquez de tomber de haut, sauf si vous êtes assis, et d’en remourir de déséspérence.
Tiens, mourir en dormant, c’est nettement mieux que de tomber d’une échelle de six mètres, et de claquer dans d’atroces douleurs après vous êtes cassé les trois jambes et qu’un pieux venu don ne sait où, mais posé là comme si fait exprès vous transperce la rate et la fend de rire en attenant que les pompiers n’arrivent que trop tard, ou, mieux, qu’ils arrivent juste assez vite pour que vous creviez devant la porte des urgences. C’est beaucoup mieux aussi que de mourir écrasé dans une bagnole et pissant le sang et les os en attendant que les pompiers… Et je ne vous parle pas lorsque vous mourez la gorge tranchée par un plaisantin armé d’un couteau, que ouille ! Même si c’est plus rapide, ça doit faire fichtrement mal aussi.
Bien alors, de quoi qu’il se plaint le ressuscité, il va jouer les jésus préchit-préchant la bonne parole que quitte à mourir pour rien, il vaut mieux crever en dormant plutôt que baignant dans son sang.
« Non, c’était juste pour dire comme ça ! » qu’elle me souffle la cigale s’approchant de l’infinie sagesse.