Il y a quelques années, lorsqu’un personnage mourait dans un film, même haché menu par une rafale de mitrailleuse, il faisait un petit mouvement de tête comme pour la poser doucement sur son épaule et fermait les yeux, c’était presque tendre. Aujourd’hui, nous sommes si habitués à voir des images de la mort s’étaler partout, sur nos kiosques à journaux, même ceux installés à la porte des écoles maternelles, au cinéma où l’on massacre plus souvent que l’on ne baise, à la téloche où les écorchés des scènes d’autopsie sont légion, pour ne pas parler d’internet où des égorgeurs raffolent de montrer leurs exploits… Bref, nous y sommes si habitués que l’on pourrait croire que la mort ne nous fait plus peur, tant elle est entrée dans nos vies quotidiennes.
Ouais, vous me direz qu’au bon vieux temps de la peste et du choléra, on n’avait pas besoin de télé. Mais on s’en fiche du bon vieux temps. Tiens, je me souviens qu’au bon vieux temps, je ne pouvais même pas regarder sans gerber un film du genre Massacre à la tronçonneuse, ou tourner de l’oeil lorsque je ne sais quel ahuri arrachait un oeil à un autre avec une petite cuillère ; aujourd’hui, on peut bien lui arracher les deux yeux, et même le troisième s’il en a, avec une fourchette et les bouffer après l’avoir coupé en tranches avec une lame de rasoir émoussée, cela me laisse autant de marbre qu’un discours de politicien. Il y a même des discours de politiciens qui m’énervent plus, mais c’est encore une autre histoire.
Et si vous me dites que c’est parce qu’avec l’âge je suis devenu un vieux con blasé, je vous répondrai que lorsque je vois les mômes, et même pas que les mômes d’ailleurs, se délecter de jeux de massacres sur leurs consoles jusque dans le métro, je me dis comme l’autre, que le temps n’y fait rien à l’affaire. D’ailleurs, dans mon bon vieux temps à moi, les mômes jouaient aux bons cow-boys massacrants les méchants indiens, et comme il n’y en avait pas beaucoup pour jouer le sioux, c’est le rôle que je préférais. Comme quoi le temps qu’il fait, qu’il soit, ou qu’il fut… Mais je digresse encore. Donc, à la voir s’étaler en images quotidiennement, on ne devrait plus avoir peur de la mort. Mais non, il faut bien le dire, sauf pour quelques allumés du bocal à qui l’on a promis d’aller sauter des vierges s’ils s’explosent la tronche avec leurs congénères, la mort nous fout encore sacrément les boules à zero – à ne pas confondre avec celles de Zorro.
Le bipède est décidément fait de plein de paradoxes. Tiens, par exemple, lorsqu’il a entendu un grand boom parce qu’un autre bipède vient de se faire péter la tronche en embrassant de trop près une bagnole, il forme aussitôt un attroupement, et d’autant plus grand si l’embrasseur est mort et qu’il y a du sang un peu partout. Mais, en dehors des quelques crétins du cervelas dont je viens de parler, dès lors qu’il qu’il sent que la mort veut l’embrasser d’un peu trop près, il s’empresse d’aller prier la vierge, le bon dieu et tous (les seins, pardon) les saints, qui vont avec ; il est même capable d’en inventer pour l’occasion, mais c’est encore une autre histoire aussi.
Mais, et j’ai failli l’oublier celle-là, revenons-en à Shéhérazade que j’ai laissée seule depuis quelques jours, puisque justement il lui faut inventer chaque nuit une nouvelle histoire pour éviter la mort qui la guette au matin. La petite Shéhé donc, ne regardait pas la télé, ni l’internénet et ne jouait pas sur des playstations, et pour cause, en son bon vieux temps… passons. Ceci-dit, son temps avait déjà connu celui de la peste et du choléra, des croisades et des croisés, des guerres et massacres en tout genre, et probablement aussi quelques crétins du genre de ceux dont j’ai parlé avec lesquels d’ailleurs les croisés rivalisaient de bon sens – il faut bien le dire, en ces temps où même l’aéroplane n’avait pas été inventé, il fallait être vraiment allumé du bocal pour aller risquer le choléra, la peste, le rhume des foins et je ne sais quoi de pire, à l’autre bout du monde, et tout ça rien que pour bouffer du sarrasin ; bon, étant des croisés de dieu, ils avaient le droit de violer quelques vierges en route, mais l’un n’excuse ni n’explique l’autre.
Notre Shéhé donc, bien avant l’invention de la tronçonneuse et de la télé pour en faire la publicité, était coutumière non seulement des images de la mort – on avait déjà inventé les livres d’images , avant même d’avoir inventé l’imprimerie qui, une fois n’est pas coutume, n’est pas une invention des arabes. Et je ne sais plus ce que je voulais dire en fait. Ah si ! La mort et son image ! Les images bien sanglantes de cadavres écorchés, on en voit tant et tant que nous en sommes repus. « Tiens, c’est quoi le machin qui traîne à côté de cette main coupée, c’est un foie tu crois, ou c’est ce qui reste de sa tête ? – Non, c’est juste une feuille d’automne. » Pourrait-on entendre dans une série télé sans que cela ne nous échauffe la bile. D’où la question que nous pourrions nous poser : Shéhé, bien que coutumière de la mort, avait-elle les boules à zéro chaque matin, lorsque sa nouvelle histoire terminée, elle se demandait si son sultan lui trancherait la gorge – et de quelle manière, rappelons que son temps était, comme le notre, adepte de la barbarie – ou s’il lui laisserait conter une nouvelle ineptie la nuit suivante ?
Malheureusement, l’histoire ne nous dit pas si au final Shéhérazade est morte tranquillement dans le lit du sultan, ou s’il la fit découper en tranches un matin, mais nous pouvons néanmoins conjecturer qu’à force de s’épuiser chaque jour à inventer une histoire pour la nuit suivante, qu’elle aurait pu finir par mourir d’un infratcus du cerveau (si, cela existait alors tout autant qu’un aréoport moderne), très probablement accentué par l’état de faiblesse de son trouillomètre jusqu’à ce que celui-ci n’atteigne le zero absolu.
Et comme je ne sais plus que dire et que ma chatte n’est pas là pour me le souffler, je garderai la suite pour une autre histoire sans queue ni tête, à moins que la peste et le choléra…